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Nina Bouraoui: "Beaux rivages", JC Lattès, 2016.
Compréhension écrite d'un extrait
Lisez cet extrait:
Je ne crois pas au hasard, rien ne vient par hasard, tout est lié, se répond, s’encastre jour après jour comme dans un jeu de dominos. Une chose engendre une chose qui engendre une autre chose, mais on reste toujours à l’origine du geste. Telle est la vérité, la seule vérité. Elle est difficile à admettre parce qu’il est plus simple de ne pas se sentir responsable. Ce qui survient ne dépend pas de Dieu et de la volonté d’un être qui serait suprême, supérieur. Dieu est ailleurs. Il arrive dans les rêves si l’on rêve. Il se déploie dans le ciel si l’on regarde le ciel. Il fait frémir les feuilles des arbres si l’on regarde les feuilles. Il fait onduler la mer si l’on regarde la mer. Il fait briller la neige des cimes si l’on regarde les cimes. Il est si l’on veut qu’il soit. Mais ça, c’est de la poésie. Je n’ai rien contre la poésie, seulement je n’y crois plus depuis qu’Adrian m’a quittée.
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Je ne reçus, n’identifiai aucun signe annonçant notre rupture. Il m’arrivait d’y penser, l’amour est imprévisible. Il survient quand on ne l’espère plus, disparaît alors qu’on le jugeait acquis. Il est sans prise et sans durée, sinon celle que l’on veut bien lui prêter. Il est cruel. Il y est souvent question de sacrifice. Je ne crois pas que l’on puisse mourir d’amour, mais sa perte nous éteint et nous devenons sans lui des pierres sèches, grises. Je n’ai jamais douté d’Adrian, doutant plutôt de moi s’il me fallait douter. Je me connaissais : après quarante ans, les mystères sont en partie résolus. Ma jeunesse fut traversée de failles, détruisant ce que j’entreprenais avec passion comme si une main maléfique avait disposé du jeu que je pensais mener. Je dépensais mes forces dans des histoires que j’imaginais grandes, leur prêtant une dimension qui n’existait pas. J’inventais, mentais, car il est ruinant pour l’esprit de ne pas savoir distinguer l’amour véritable de l’attachement. J’attendais un avenir plus clair. On se dit toujours que quelqu’un nous sauvera alors qu’il serait plus juste de se sauver soi avant de profiter d’un triomphe qui viendrait des autres. J’avais rompu mes chaînes avec l’âge, sachant distinguer les sentiments sans les confondre, prenant l’amour pour ce qu’il est et non comme une réponse à la peur d’être abandonnée.
Je n’attendais pas qu’Adrian me sauve. Il me semblait être à égalité avec lui. Je ne le possédais pas plus que lui ne me possédait. Nous étions d’un seul bloc, avec nos différences. Je nous surnommais les Positif/Négatif en raison de la couleur, blonde et brune, de nos cheveux, comme deux empreintes photographiques, l’une saturée d’ombre et l’autre de lumière. Huit années s’étaient succédé sans heurt, ou si peu. Nous tenions notre chance. J’aimais assez Adrian pour accepter de tomber avec lui s’il avait dû un jour tomber. Je n’ai jamais pensé qu’il puisse être à l’origine de ma noyade.
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Je ne reçus, n’identifiai aucun signe annonçant notre rupture. Il m’arrivait d’y penser, l’amour est imprévisible. Il survient quand on ne l’espère plus, disparaît alors qu’on le jugeait acquis. Il est sans prise et sans durée, sinon celle que l’on veut bien lui prêter. Il est cruel. Il y est souvent question de sacrifice. Je ne crois pas que l’on puisse mourir d’amour, mais sa perte nous éteint et nous devenons sans lui des pierres sèches, grises. Je n’ai jamais douté d’Adrian, doutant plutôt de moi s’il me fallait douter. Je me connaissais : après quarante ans, les mystères sont en partie résolus. Ma jeunesse fut traversée de failles, détruisant ce que j’entreprenais avec passion comme si une main maléfique avait disposé du jeu que je pensais mener. Je dépensais mes forces dans des histoires que j’imaginais grandes, leur prêtant une dimension qui n’existait pas. J’inventais, mentais, car il est ruinant pour l’esprit de ne pas savoir distinguer l’amour véritable de l’attachement. J’attendais un avenir plus clair. On se dit toujours que quelqu’un nous sauvera alors qu’il serait plus juste de se sauver soi avant de profiter d’un triomphe qui viendrait des autres. J’avais rompu mes chaînes avec l’âge, sachant distinguer les sentiments sans les confondre, prenant l’amour pour ce qu’il est et non comme une réponse à la peur d’être abandonnée.
Je n’attendais pas qu’Adrian me sauve. Il me semblait être à égalité avec lui. Je ne le possédais pas plus que lui ne me possédait. Nous étions d’un seul bloc, avec nos différences. Je nous surnommais les Positif/Négatif en raison de la couleur, blonde et brune, de nos cheveux, comme deux empreintes photographiques, l’une saturée d’ombre et l’autre de lumière. Huit années s’étaient succédé sans heurt, ou si peu. Nous tenions notre chance. J’aimais assez Adrian pour accepter de tomber avec lui s’il avait dû un jour tomber. Je n’ai jamais pensé qu’il puisse être à l’origine de ma noyade.